Son arrière petite-fille parle
« Mémé Louise, est-ce-que je peux regarder les photos? »
C’était un rite, le dimanche, pour Zabeth, la petite Parisienne que j’étais en ces années soixante. A peine avais-je grimpé les trois étages menant à l’appartement de mes grands-parents maternels, que je posais la question. Interrompant la préparation du repas dominical, Marie-Louise Yzeux se dirigeait vers le chiffonnier et en extrayait le fameux tiroir.
Ainsi je pouvais voir et revoir les vieilles photos de famille du début du XXe siècle. Je questionnais la maîtresse de maison laquelle, tout en surveillant ses fourneaux, se prêtait, attendrie, à cette quête habituelle.
Je me souviens qu’en regardant sa photo de mariage, elle avait évoqué son excentrique beau-père Ambroise Yzeux, qui avait convié plus de cent-vingt personnes à ses fastueuses noces paysannes.
Tout cela refit surface, cinquante ans plus tard, quand je fus contactée par Georges Guitton. Lointain cousin qui m’était jusque là inconnu, il avait entrepris depuis des années d’écrire la biographie d’Ambroise Yzeux, mon arrière-grand-père maternel. Son projet de livre m’a enthousiasmée. C’était comme si l’on rouvrait pour moi le tiroir aux secrets et aux non-dits de ma grand-mère.
Des années durant, le cousin Georges a minutieusement enquêté. Il a interviewé les derniers témoins, compulsé les archives, interrogé les mémoires, sondé les coeurs. Jusqu’à reconstituer le plus complètement possible l’homme Yzeux dans son époque, sans oublier d’analyser ses goûts, ainsi que les idées et les valeurs dont il se réclamait.
Cette démarche exigeait un minimum d’empathie. Intrigué et séduit par le personnage d’Ambroise, Georges Guitton a respecté le principe selon lequel il vaut mieux comprendre avant de juger. C’est pourquoi son travail peut apparaître comme une défense argumentée de ce "paysan urbaniste" qui fut tour à tour célèbre, controversé et ignoré.
Cette étude inédite de la psychologie d’Ambroise Yzeux m’a personnellement enrichie. Non seulement elle a éveillé en moi la passion pour les biographies des petits et des grands, mais elle m’a surtout révélé l’origine de quelques traits de caractère et de certains secrets familiaux.
En outre, j’ai pu découvrir ce qui se cachait derrière les jolis noms d’Yzeuville, de Tyrol manceau, de rue des Hirondelles...Tout ce passé urbain et social méconnu appartient dorénavant à mon patrimoine de coeur.
Je suis reconnaissante à l’auteur d’avoir ravivé cet "autrefois" et réhabilité à mes yeux cet arrière-grand-père dont je ne savais presque rien sauf qu’il était coupable d’avoir "tout mangé", comme on disait à l’époque...Ce bisaïeul qui vaut désormais pour moi bien mieux que sa réputation.
Elisabeth Lucas